Être hypersensible ne facilite pas toujours le quotidien, surtout lorsqu’il s’agit de conserver des relations simples et agréables avec son entourage. Les personnes hypersensibles ont tendance à trop vouloir se mettre à la place des autres, à déployer une trop grande empathie et, par là même, à se laisser très souvent envahir par les autres. Les relations humaines peuvent alors devenir toxiques. Saverio Tomasella, psychanalyste, docteur en psychopathologie et auteur de nombreux ouvrages, nous délivre quelques clés.
Qu’est-ce que l’hypersensibilité ?
L’hypersensibilité – ou ultra-sensibilité – est une « sensibilité élevée », une forte sensibilité. Il s’agit d’un tempérament. Concrètement, l’hypersensibilité désigne le plus souvent soit une intense réceptivité, soit une forte émotivité, soit une grande expressivité. Comme il s’agit de sensibilité, donc de ressenti, il ne peut pas y avoir de définition officielle, rigide et définitive. Chaque personne va donc définir pour elle-même ce qu’elle considère comme son « hypersensibilité » ou sa « sensibilité élevée ».
Comment se manifeste-t-elle ?
Le plus souvent, on retrouve certaines tendances : l’impression de vivre à fleur de peau, d’être à vif, à cran, de tout ressentir très fort, de ne pas avoir de protection ou de filtre, d’avoir besoin de temps pour assimiler les informations, de ne pas supporter la violence, la cruauté, le bruit, l’agitation, les odeurs fortes, la vulgarité, etc. Par ailleurs, les personnes hautement sensibles sont très intuitives, attentives, empathiques, créatives…
Est-ce que l’on naît hypersensible ou le devient-on ?
L’hypersensibilité est liée non seulement à notre histoire depuis notre conception, mais aussi à notre façon particulière de percevoir et de répondre aux événements. Elle dépend donc de notre environnement et des situations que nous vivons. Un enfant peut être déjà très sensible à sa naissance, notamment si la vie intra-utérine a été difficile pour lui ou pour sa mère ou pour un proche de la mère.
L’hypersensibilité se développe donc depuis la vie intra-utérine et la naissance à partir d’une disposition plus ou moins grande à la sensibilité et, surtout, à la façon dont les proches vont ou ne vont pas l’accepter. Un enfant très sensible qui grandit dans une famille qui accueille, favorise et valorise la sensibilité sera à l’aise avec ses ressentis, alors qu’il deviendra difficile à vivre et perturbant dans un environnement différent.
Y a-t-il de plus en plus de personnes hypersensibles ?
Oui, indéniablement. D’un point de vue positif, car la société évolue vers plus de conscience, de finesse, d’empathie, de spiritualité. D’un point de vue négatif, les violences du monde nous fragilisent et nous mettent forcément plus à vif.
Quelles caractéristiques communes les personnes hypersensibles ont-elles ?
La sensibilité à la beauté, l’intensité des ressentis, la fatigabilité aussi, du fait d’une saturation rapide. Pour autant, il y a de très nombreuses façons de vivre une sensibilité élevée, même l’empathie n’est pas un critère suffisant. Certains sont introvertis, d’autres extravertis, certains altruistes, d’autres égoïstes…
Pourquoi les personnes hypersensibles ont-elles bien souvent l’impression de ne pas être comprises ?
Cela dépend beaucoup des mauvaises expériences en famille ou à l’école. Plus un enfant sensible aura été moqué, ridiculisé ou rejeté, plus il se sentira en décalage avec les autres. De plus, une personne qui a honte de sa sensibilité n’osera pas l’exprimer librement et expliquer ce qu’elle ressent, ce qui accentue l’impression de ne pas pouvoir être comprise.
Les hypersensibles sont-elles des personnes moins heureuses que les autres ?
C’est très variable. Il existe de grands sensibles très à l’aise et très heureux. D’autres personnes le vivent moins bien, surtout si elles sont envahies par leurs émotions ou si leur entourage les dévalorise à cause de leur sensibilité élevée. Mais il n’y a pas de fatalité. On peut être vraiment heureux tout en étant extrêmement sensible !
Vous dites qu’il est préférable d’apprendre à vivre ses émotions plutôt qu’à les gérer. Pourriez-vous nous expliquer cela ?
Ce que nous avons découvert par l’expérience depuis plus d’un siècle est aujourd’hui confirmé par les recherches en neurobiologie. Les mots et la rationalisation ne peuvent rien faire pour dépasser une émotion. Cela se passe sur un autre plan, corporel et sensible. Les pratiques qui aident réellement sont la relaxation, la méditation, le yoga, le qi gong, les arts martiaux, les massages, l’ostéopathie, etc. Ce dont nous avons le plus besoin, c’est de présence humaine et de contact : écouter, réconforter, prendre dans les bras… Par ailleurs, les émotions sont des informations que nous pouvons apprendre à accueillir et à accepter. Elles enrichissent considérablement notre vie intérieure.
Quels conseils donneriez-vous à nos lecteurs qui ne vivent pas bien leur hypersensibilité ?
Ils peuvent être fiers de leur sensibilité élevée, ils peuvent vraiment en faire une force. Comment ? En cultivant ses dons, même les plus simples, en accueillant ses émotions, en exprimant ses sentiments, en développant une pensée personnelle. Surtout, en développant sa créativité, quel que soit le domaine. J’ai aussi découvert à quel point les sports qui favorisent l’équilibre aident les hypersensibles à vivre mieux : natation, Pilates, yoga, danse libre, skate, roller, surf, ski, escalade, etc.
Vous êtes à l’initiative de l’Observatoire de l’ultra-sensibilité. Qu’est-ce que c’est ? Quelle est sa mission ?
Cet observatoire est récent. Il n’a que quelques mois et dépend entièrement de l’action de bénévoles. Nous menons une enquête sur l’ultra-sensibilité. Nous aurons bientôt besoin de volontaires pour créer des groupes de parole entre hypersensibles et des ateliers thérapeutiques en France, en Belgique et en Suisse. Surtout, nous souhaitons aider les enseignants à mieux comprendre la sensibilité élevée, à pouvoir l’expliquer en classe à tous les enfants et à aider celles et ceux qui sont plus sensibles que les autres.
Le mot de la fin ?
Je rencontre de plus en plus de personnes qui, un jour, ont compris que leur sensibilité est un atout, une chance, une force. Dans le roman À fleur de peau, j’ai souhaité raconter une histoire qui permet de comprendre comment cette prise de conscience peut changer la vie de quelqu’un et quelles sont les transformations positives qui en découlent. L’héroïne, Flora, vit sa sensibilité exacerbée comme une gêne ou un frein. Puis, elle va changer de regard sur elle-même et apprendre à s’aimer telle qu’elle est. Il s’agit d’un passage libérateur, un basculement vers une autre vie possible. C’est l’évolution heureuse que vit Flora…
Mar 11, 14:29