avec Laurence Santantonios
journaliste, chroniqueuse TV
Voilà un sujet encore bien tabou, bien trop peu traité dans les médias. Pour tenter de comprendre cette nouvelle donne anthropologique, nous avons posé quelques questions à Laurence Santantonios, qui a travaillé pendant plus de 30 ans dans l’édition et le journalisme littéraire et professionnel du livre, et qui est l’auteur de l’ouvrage Libre à elles – Le choix de ne pas être mère, aux éditions du Mauconduit.
En tant que journaliste et mère, quelles ont été vos intentions pour écrire cet ouvrage et interroger plus de 40 femmes sur leurs motivations à ne pas vouloir d’enfant ?
Depuis longtemps, je voulais interroger le mystère de ce choix : avoir ou ne pas avoir d’enfant. Pourquoi est-ce que j’avais ressenti un désir aussi puissant et irrépressible d’avoir un enfant avec l’homme que j’aimais – un désir qui m’a envahie à deux reprises dans ma vie, à presque 20 ans de distance. Pourquoi certaines femmes ne le ressentent pas et choisissent de ne pas être mères ? Quelle est la part du biologique et celle du culturel dans ce que l’on appelle communément – et à tort – l’instinct maternel ? Aurais-je eu les mêmes désirs si j’étais née 30 ans plus tard ?
Pour comprendre, j’ai eu envie de rencontrer des femmes volontairement sans enfant, d’échanger ma propre expérience avec la leur.
Quelles ont été les raisons les plus évoquées par ces femmes ?
D’abord, je dirais que chacune a son parcours singulier et ses raisons personnelles. Même si elles évoquent presque toutes le temps long des études, la difficulté à trouver un travail et une relation stable avec un homme ou encore des raisons écologiques, il semble absurde de généraliser ou d’établir des catégories.
Deux points communs quand même à toutes les femmes que j’ai rencontrées : l’absence de pulsion physique, même en présence de l’homme aimé ; et le besoin de liberté, pas la liberté comme absence de contraintes – comme l’imaginent à tort beaucoup de gens vis-à-vis des femmes qui ne désirent pas d’enfant –, mais la liberté intérieure. La nécessité d’être soi-même le plus possible, la crainte de se laisser embarquer dans une aventure, certes inouïe – la plupart imaginent bien le délice que peut procurer le fait d’être mère… –, mais qu’elles ne pourraient pas assumer, au détriment de l’enfant. Elles ne voient pas comment résoudre cette équation : se sauvegarder en tant que femme et se « dévouer » en tant que mère.
La notion d’horloge biologique n’est-elle finalement pas une chimère liée à une pression sociale depuis la naissance ?
Difficile de répondre à cette question de façon satisfaisante car je ne suis ni biologiste, ni sociologue. Les spécialistes eux-mêmes débattent de cette question sans trouver de réponse, je le relate dans mon livre. Ce que je peux dire, c’est qu’une seule des 40 femmes rencontrées, une institutrice, a ressenti un vague désir d’être enceinte vers l’âge de 38 ans. Elle en a elle-même conclu qu’il s’agissait d’une manifestation du corps liée à la pression de son entourage qui lui disait : c’est le moment où jamais, tu le regretteras ! Mais, comme elle n’avait jamais vraiment voulu d’enfant et qu’elle n’avait pas de relation stable avec un homme, pas question pour elle d’écouter cette soi-disant « horloge biologique ».
Comment expliquez-vous que la non-maternité soit passée d’un choix non assumé à un choix volontaire et même revendiqué, voire à une véritable aspiration de vie ?
C’est qu’un séisme majeur est passé par là : l’avènement de la contraception et la libéralisation de l’avortement il y a une cinquantaine d’années. L’émancipation des femmes est inéluctable, et même s’il y a des retours de bâton ici ou là, s’il faut continuer d’être très vigilants sur les droits des femmes, on ne pourra jamais revenir en arrière. Les femmes veulent décider de leur destin comme peut le faire un homme – du moins en Occident ! Ce qu’écrivait Simone de Beauvoir dans La force de l’âge est beaucoup plus audible aujourd’hui qu’à son époque : « Je n’ai pas l’impression de refuser la maternité, elle n’était pas mon lot. En demeurant sans enfant, j’accomplissais ma condition naturelle. »
Connaissons-nous le taux d’infécondité volontaire en France ?
Par différents regroupements de statistiques datant d’il y a 5 ou 6 ans, on parvient au chiffre de 5 % de femmes qui font le choix de ne pas être mères en France. Mais il est en réalité très difficile de comptabiliser les cas où une décision aussi intime et complexe est prise, et il est fort à parier que le chiffre serait aujourd’hui plus important.
Pourquoi, selon vous, les médecins ne conseillent-ils jamais la contraception définitive – stérilisation – aux femmes françaises alors qu’en Grande-Bretagne, 40 % des femmes y ont recours ?
C’est une bonne question qui est rarement abordée ! Comme si c’était tabou. Nous sommes un pays plus latin que la Grande-Bretagne, les médecins ont sans doute du mal à envisager qu’une femme désire ne pas enfanter. Ils n’hésitent pas à les culpabiliser sur ce sujet. Et puis, les pouvoirs publics ont toujours encouragé les naissances – à tout prix, pourrait-on dire. Lorsque je faisais mes recherches pour mon livre, j’ai été stupéfaite de rencontrer un médecin généraliste me disant que « de toute façon, la stérilisation n’est pas légale en France ! » Et d’entendre les femmes raconter leur parcours du combattant pour pouvoir bénéficier de cette contraception définitive, pourtant très encadrée par la loi en France depuis 2001. Quant aux couples qui ont des enfants et qui désirent en rester là, les médecins ne leur parlent pas tout simplement de cette solution contraceptive ; ou alors, quand ils le font, ils sont si flous et si peu encourageants que les couples y renoncent vite.
Qu’est-ce qui vous a le plus étonnée parmi tous les témoignages ?
Le fait que beaucoup de ces femmes – avec lesquelles les échanges ont été intenses et chaleureux – aimaient les enfants, s’occupaient d’eux avec joie, soit dans leur métier, soit dans leur famille et leur entourage. Plusieurs avaient même avec eux une relation particulière et appréciée de ces enfants, mais elles n’en voulaient pas pour elles-mêmes. Encore une fois, elles savent bien ce à quoi elles renoncent, mais elles pensent qu’elles ne seraient pas d’assez bonnes mères pour élever un enfant dans de bonnes conditions. Chapeau !
Si nos lecteurs ne devaient retenir qu’un message de votre livre, lequel serait-il ?
L’éloge de la différence. Nous avons tous et toutes des idées préconçues, souvent sans nous en rendre compte. Nous avons du mal à comprendre des sentiments qui nous sont étrangers. Être à l’écoute des êtres qui sont différents de nous est d’une grande richesse.
Le mot de la fin ?
Suivre son propre chemin, même si « les braves gens n’aiment pas qu’on suive une autre route qu’eux », comme le chantait si bien Georges Brassens…
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