L’épidémie que nous traversons a considérablement modifié notre rapport à l’alimentation et à notre consommation. Mais est-ce que cela sera suffisant pour des changements durables ? À l’occasion de la sortie du Manifeste pour une alimentation durable, Mathilde Golla et Valère Corréard nous éclairent sur le sujet…
avec Mathilde Golla et Valère Corréard
Quelles ont été les motivations pour écrire ce manifeste ?
Le projet du livre est né au lendemain du premier confinement. Nous avons vécu un moment historique. La situation était inédite, entre les rayons clairsemés dans les supermarchés, les pénuries de produits de première nécessité, le manque de bras dans les champs, la perte de confiance des Français dans notre modèle, la crainte d’un effondrement du système alimentaire… Ces événements nous ont poussés à vouloir comprendre et documenter ce moment si particulier. Nous avons ainsi voulu le décrypter grâce aux témoignages de citoyens, d’agriculteurs, de distributeurs et d’experts. L’objectif est aussi, à notre niveau, d’accompagner le changement de modèle vers une alimentation plus durable.
La pandémie a agi comme un révélateur des fragilités structurelles de notre système alimentaire mondialisé. Pourriez-vous, svp, nous éclairer sur ces fragilités ?
Notre système alimentaire est à bout de souffle. Les agriculteurs ne vivent plus de leur métier, ils appartiennent à la catégorie socio-professionnelle qui accuse le plus haut taux de pauvreté, selon l’Insee. Près de 20 % des agriculteurs n’ont pas pu se verser de revenu en 2017. Le nombre de fermes diminue et la population active agricole a été divisée par 2 en moins de 30 ans. Les difficultés financières du milieu paysan accélèrent son déclin et expliquent aussi le recours à la main-d’œuvre bon marché des travailleurs détachés pour les récoltes saisonnières. La crise sanitaire a tristement mis en lumière les incohérences du système de la grande distribution, où les prix d’achat des produits agricoles sont fixés indépendamment de leurs coûts de production.
Ce système aux abois a été encore un peu plus déstabilisé par la crise sanitaire. L’agriculture française a en effet pâti de la mise à l’arrêt des restaurants et des marchés lors du premier confinement. Elle a aussi été affaiblie par la fermeture des frontières, la privant d’une maind’oeuvre étrangère dont elle ne peut plus se passer.
En quoi la crise a-t-elle été un accélérateur de transformation ?
La crise agricole est profonde, mais, pour beaucoup de Français, elle restait encore théorique. Or, le manque de bras dans les champs et l’incapacité à remplacer la main-d’œuvre étrangère, ainsi que la crainte de pénuries alimentaires, ont notamment rendu les failles de notre système alimentaire concrètes pour un grand nombre de Français. La crise a créé un électrochoc. Elle a sans doute été le point de départ d’un basculement collectif : nous avons réalisé notre vulnérabilité, mesuré l’ampleur des dépendances de notre système alimentaire, mais aussi notre capacité à la résilience. Cette prise de conscience a incité les Français à agir et préférer des produits frais et locaux achetés au plus près du milieu paysan et des commerces indépendants pour soutenir une profession en crise, plébisciter des méthodes de production plus durables, se maintenir en meilleure forme, tout en faisant des économies…
Elle a aussi encouragé les Français à vouloir reconquérir collectivement l’autonomie alimentaire.
Pourquoi la pandémie a-t-elle poussé 73 % des Français à consommer plus responsable ?
Les dysfonctionnements de notre système ne datent pas d’aujourd’hui, mais ils ont éclaté au grand jour dès le premier confinement, provoquant une perte de confiance dans notre système. Les citoyens ont privilégié un circuit de distribution à taille humaine, où l’on connaît la provenance des produits. « C’est comme si les gens s’étaient rendu compte de la fragilité de nos approvisionnements… Il y a eu une prise de conscience de l’importance de privilégier une alimentation plus locale », analyse Yuna Chiffoleau, directrice de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement. Par ailleurs, l’alimentation joue un rôle majeur sur la santé et sur l’environnement. Elle a été un refuge pendant les confinements. Soutenir des paysans de plus petites fermes aux méthodes de production plus vertueuses, sans suremballage, a donc été un réflexe pour bon nombre d’entre nous.
Vous expliquez que le confinement a aussi marqué un retour vers des produits durables et non transformés. Pensez-vous que cet attrait pour le fait maison sera durable ?
En tout cas, la crise a poussé les Français à se recentrer sur les choses essentielles, à commencer par se nourrir. Nous avons collectivement repris goût à la cuisine, aux plaisirs du jardinage et aux joies de consommer les produits de nos jardins. Le « monde d’après » semble s’écrire incontestablement dans notre assiette, et c’est une bonne nouvelle.
Quels sont les nouveaux circuits de distribution plus durables qui ont émergé ?
La crise a poussé des agriculteurs à se réorganiser. Les circuits courts en ont été renforcés. Ce mode de distribution compte un seul intermédiaire entre la clientèle et le producteur – selon la définition du ministère de l’Agriculture – et les producteurs déterminent leurs prix, gage d’une rémunération décente.
Ainsi, les ventes directes à la ferme, en AMAP – où les adhérents s’engagent à recevoir un panier de produits sur une période déterminée –, en épiceries paysannes ou coopératives, auprès des producteurs sur les étals des marchés, ont vu affluer de nouveaux clients. Des citoyens, collectivités, municipalités, partout en France, ont imaginé des solutions pour permettre aux agriculteurs, privés de leurs débouchés habituels, d’écouler leur production. Une manière aussi de redonner du sens dans nos assiettes, mais aussi du goût !
Ces transformations sont expliquées dans notre manifeste !
Quels sont les gestes qui favorisent une relocalisation de la production, de la transformation et de la distribution, et garantissent une reconquête au moins partielle de notre autonomie alimentaire ?
Les solutions sont nombreuses et détaillées dans notre ouvrage ! Sans surprise, la plus évidente est le fait de privilégier un approvisionnement au plus près de son domicile et de consommer des produits de saison. Les citoyens ont enclenché le mouvement et la crise a joué le rôle d’accélérateur.
Il faudrait aussi revaloriser le travail des agriculteurs, privilégier une alimentation locale et de qualité dans les collectivités et imaginer des systèmes pour que tous les Français puissent avoir accès à une alimentation de qualité. C’est aussi l’objet de notre manifeste !
Le mot de la fin ?
Ce n’est que le début !
Pour aller plus loin…