Le sourire a été très longtemps boudé dans l’histoire de l’art et, notamment, dans la peinture. En effet, la bouche étant considérée comme le siège des plaisirs gustatifs et charnels, les règles de bienséance voulaient que l’on évite la présence d’un sourire sur une peinture. D’ailleurs, jusqu’à la deuxième moitié du XVIIIe siècle, le sourire « denté », c’est-à-dire bouche ouverte, était réservé aux filles de joie, aux ivrognes et à toutes personnes s’adonnant à la débauche.
![]() |
![]() |
L’homme qui rit d’Antonello de Messine, 1470. Sicile, Musée Mandralisca de Cefalù. | Madame Vigée-Le Brun et sa fille d’Élisabeth Vigée Le Brun, 1786. Musée du Louvre. |
Ainsi, les oeuvres « souriantes » dans l’histoire de la peinture sont rares. En 1470, Antonello da Messina peint L’homme qui rit, mais le sourire arboré par le modèle s’apparente davantage à une grimace cynique. Les historiens s’accordent à penser que le portrait de la Joconde, peint entre 1503 et 1506, serait le premier portrait souriant. Un sourire toutefois bouche fermée et tout en retenue, par un habile jeu d’ombres.
À partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, entrouvrir les lèvres devint acceptable, voire souhaitable, dans la mesure où, avec l’essor des grands romans sensibles de l’époque – comme La Nouvelle Héloïse, de Jean-Jacques Rousseau –, le sourire s’impose comme un modèle pour les élites souhaitant afficher leur sensibilité et leur richesse. Mais l’évolution des mentalités sera longue, comme en témoigne l’autoportrait d’Élisabeth Vigée Le Brun, en 1786. Sur cette oeuvre, on la voit tenir sa fille dans ses bras et sourire bouche ouverte en regardant le spectateur dans les yeux. Cette attitude sera jugée déplacée compte tenu de la représentation classique de la maternité.
Après la Révolution, le sourire ne revient dans la peinture française qu’avec les artistes de l’impressionnisme. Il faudra toutefois attendre le début du XXe siècle pour qu’une femme de la bourgeoisie respectable apparaisse avec un sourire franc et décomplexé, comme le montre la peinture Femmes à la balustrade, de Kees Van Dongen (1910-1911). La stylisation de cette oeuvre opère alors une sorte de promotion sociale du modèle féminin en le libérant de toute vulgarité.
Source : www.deuxieme-temps.com
l’art du sourire, Marion Spataro.