À l’occasion de la sortie de son livre Beauté noire, aux éditions La Plage, Michèle Nicoué-Paschoud nous livre quelques-uns de ses secrets de beauté et fait toute la lumière sur une cosmétique qui s’affirme de plus en plus.
Docteur en pharmacie et réflexologue, Michèle Nicoué-Paschoud est originaire du Bénin. Passionnée par les approches naturelles de santé, elle met à disposition ses connaissances scientifiques pour la fabrication de produits de beauté efficaces et sensoriels sur son blog Potions et chaudron.
http://www.potions-et-chaudron.com/
Pourquoi avoir écrit un ouvrage spécialisé sur la cosmétique naturelle pour peaux noires et métissées ?
Les peaux noires et métissées ont la même structure que les autres peaux et il peut être étonnant de proposer un tel ouvrage, en effet. Leur spécificité provient de l’adaptation aux conditions climatiques en Europe ou dans les pays tempérés, où elles ne trouvent pas la chaleur et l’humidité des climats tropicaux, qui leur correspondent le mieux.
Un tel ouvrage pratique et aussi complet n’existe pas en français. Certes, il traite des cheveux, qui semblent être l’arbre qui cache la forêt – pousse, coiffage, casse… –, mais aussi plus largement des préoccupations possibles sur les peaux noire et métisse, telles que taches, acné, vieillissement, et des enjeux de santé liés à l’emploi d’ingrédients problématiques, comme les perturbateurs endocriniens, l’impact environnemental…
Les recettes à faire soi-même balaient la peau à divers moments de la vie – du bébé à la peau mature, en passant par l’adolescence –, la peau masculine et le rasage, la grossesse – prévention des vergetures, masque de grossesse… –, le visage, le corps… Mais aussi les cheveux : shampoings, masques, leave in, masques protéinés ou non…
Et, comme je suis professionnelle de santé, je n’ai pas résisté au plaisir d’indiquer aussi des recettes de bien-être, comme des produits anti-stress, de massage, le baume des lunes pour les filles, etc.
En matière de routine beauté, quelles sont les addictions des femmes noires et métissés ? Pourquoi ?
Je vois deux addictions, dont l’une passablement bénigne est le plaisir de l’exfoliation, qui leur procure une peau douce et veloutée. Lorsqu’il fait froid, les couches de peau morte protègent un peu du dessèchement. Les gommages agressifs peuvent « délipider » et sensibiliser transitoirement l’épiderme. Mais, paradoxalement, trop peu d’exfoliation bouche les pores, limite l’écoulement du sébum et provoque, à terme, des boutons d’acné ou des imperfections.
La seconde addiction, qui n’est pas spécifique aux femmes noires – puisque beaucoup de femmes asiatiques ou indiennes s’y adonnent aussi –, ne concerne fort heureusement qu’une très faible minorité. Il s’agit de la dépigmentation volontaire de la peau. Source de très graves répercussions aux plans dermatologique et général, elle est à présent médiatisée. Des solutions médicales en hôpitaux sont apportées aux femmes qui désirent mettre fin à cette pratique dangereuse. Les produits utilisés sont théoriquement interdits en Europe et les cocktails improbables à base de dermocorticoïdes à effet dopant participent à l’addiction psychologique.
Les nouvelles générations prônent un retour au naturel, refusent tous diktats et affirment avec fierté leurs origines. Comment expliquez-vous cette nouvelle tendance ?
Elle est le fait des diasporas.
Les noirs qui vivent dans leur pays d’origine n’ont pas à revendiquer quoi que ce soit à ce propos. Ils sont majoritaires en leur pays, et leur origine, les caractéristiques de leur peau et cheveux sont naturellement intégrées.
Les jeunes Français afro-descendants ont besoin de représentations. Ils ont grandi en intégrant une certaine idée de leurs origines et ont parfois eu à en souffrir à un moment ou un autre de leur histoire personnelle, quand ils ne l’ont tout simplement pas subie à travers l’histoire de leurs parents.
Je fais donc le parallèle avec ce qu’il s’est passé aux États-Unis, où les populations noires ont dû revendiquer que leur peau ou leurs cheveux ne sont pas honteux et qu’ils sont juste naturels ! Toutes les façons de les dénaturer, comme les défrisages, le port de postiches ou les rajouts, sont parfois rejetées.
Les cheveux sont devenus un étendard quasi politique aujourd’hui.
La beauté des peaux noires et métissées, une histoire de famille et de transmission ?
Très certainement, comme dans n’importe quelle culture.
On intègre toutes ce que nos mères, grands-mères ou tantes « disent » de leur beauté. Ensuite, on construit sa propre beauté, avec ou contre cette transmission. Si l’on a été élevée par une mère complexée par de petits seins, dont on a hérité, on peut développer insidieusement que les petits seins ne sont porteurs d’aucune beauté. Fort heureusement, les médias magnifient régulièrement ceux de Jane Birkin ou de Kate Moss, dont on ne peut pas nier la beauté.
Pour certaines jeunes noires grandissant en Europe, les critères de beauté majoritaires environnants sont la peau blanche et les cheveux lisses : il n’y a aucune place pour se construire là-dedans.
Pour peu que les femmes de la famille ne portent pas fièrement leur peau et leurs cheveux, même si simplement, comme toutes les femmes du monde, elles sont juste vulnérables au regard que l’on porte sur elles, il peut en découler le sentiment diffus que, peut-être, il n’y aurait pas de beauté noire.
Pour peu qu’elles aient fait l’objet de discrimination dans la petite enfance, voire même de petites remarques anodines mais à fort retentissement émotionnel, cela peut engendrer une réelle difficulté à intégrer qu’il existe une beauté en elles. La beauté des noires en occident est souvent décrite avec force comparaison animale – panthère noire, tigresse, gazelle… –, et, parfois, avec une connotation sexuelle sous-jacente fort dérangeante, a fortiori chez de très jeunes filles.
De même, une petite fille dont on touche les cheveux innocemment, même avec une remarque positive mais porteuse de curiosité – « je peux toucher ? », « oh, on dirait du coton », « ah, mais c’est doux ! » –, peut développer un sentiment d’étrangeté à un âge où l’on n’a pas tellement envie d’être originale. Il ne viendrait jamais à l’idée de quiconque de se comporter de la sorte avec une petite fille blanche, n’est-ce pas ?
Fort heureusement, cela change, les prises de conscience sont plus manifestes sur de tout petits glissements, qui ont un très fort retentissement plus tard…
Ce qui est particulier dans les familles où les mères, pour diverses raisons, se sont toujours défrisé les cheveux ou n’ont jamais porté leurs cheveux naturels, c’est qu’il n’y a pas d’apprentissage des gestes ou même d’outils adaptés à la chevelure. Donc oui, je dirais que, dans tous ces cas-là, c’est certainement une histoire de transmission, tant pour déconstruire très vite les germes de honte que pour apprendre les bons gestes ; chose qui se fait aujourd’hui très dynamiquement via les réseaux sociaux, avec les quelques excès inhérents à ces supports.
Quelles sont les principales caractéristiques des peaux noires et métissées ?
Les peaux noires et métissées ont exactement la même structure anatomique que les autres types de peau. Leurs caractéristiques normales en pays tropical humide indiquent leur sensibilité sur certains points en pays tempéré. Un peu comme une peau blanche qui ne supporterait pas d’être exposée toute l’année au soleil et à l’humidité sans certains dommages : brûlures, rougeurs, photo-vieillissement…
Leur couche cornée est cependant plus dense. Elle est composée de 12 couches, au lieu de 8 chez les peaux blanches. Elles rident donc moins, ce sont des peaux qui vieillissent moins vite si le critère retenu est l’âge d’apparition des premières rides.
Elles possèdent plus de lipides afin que le film hydrolipidique plus abondant résiste au soleil et à l’humidité. Dans un climat tempéré, elles sont généralement déshydratées voire sèches, mais paradoxalement plus luisantes parce que, par réaction, elles produisent plus de sébum pour se protéger du froid et de l’air moins humide. Il ne faut alors pas les traiter comme des peaux blanches grasses, la grande erreur dermatologique. En Europe, une peau noire normale est souple et luisante.
Les peaux noires sont sensibles au frottement des vêtements couvrants, qui éliminent leur sébum, plus sujettes à la surpigmentation, qui laisse des cicatrices plus sombres que la carnation de base, plus sensibles aux cosmétiques agressifs ou irritants : alcool, tensioactifs très détergents, peelings…
Pourquoi autant de femmes – et d’hommes – noirs et métissés se tournent-ils vers la cosmétique DIY, ou Do It Yourself ?
Tout simplement parce qu’ils ne trouvent pas dans le commerce une réponse naturelle à leurs demandes. Le greenwashing* sévit grandement dans les cosmétiques destinés à ces peaux, où ne sont mis en avant que les ingrédients naturels insérés à doses homéopathiques dans des bases conventionnelles, riches en dérivés pétrochimiques douteux.
Pour peu que ces personnes soient informées – et c’est le cas de nos jours –, averties, elles veulent éviter, comme tout le monde, les ingrédients sujets à polémique, elles veulent revenir à des routines de beauté naturelles, elles découvrent ou redécouvrent des huiles et des beurres originaires d’Afrique, d’Inde ou d’Amérique du Sud, dont on sait qu’ils ont la composition en acides gras idoine, faite pour leur peau et leurs cheveux.
Et puis, tout de même, s’ils ont une mère ou une grand-mère originaire d’Afrique ou des Antilles, ils ont certainement déjà été enduits de l’un de ces produits-là. Parfois, d’ailleurs, ce sont les jeunes qui initient leurs parents et je trouve cela très réjouissant !
Quelle serait, selon vous, une routine de beauté quotidienne idéale ?
L’hydratation est le fil conducteur de tous les soins, qu’ils soient corporels ou capillaires. Des corps gras d’origine végétale sont particulièrement adaptés. Il faut absolument éliminer les huiles minérales de tous les produits cosmétiques.
Une peau noire ou métisse non démaquillée au quotidien devient une peau sujette à l’acné ou aux imperfections,
surtout si le maquillage est riche en dérivés siliconés.
Sur le visage, après un nettoyage doux, une crème hydratante est une bonne base pour protéger la peau et restaurer une hydratation, par nature constitutionnellement limitée pour faire face au froid. En hiver, plutôt qu’une crème plus grasse, choisir de la coupler avec une ou deux gouttes d’huile végétale ou de sérum huileux bien composé est une bonne solution pour moduler les besoins. Le soir, le démaquillage dès le plus jeune âge est obligatoire pour éliminer l’excès de sébum, produit pour se préserver du froid et de l’effet desséchant du chauffage ou du vent.
Pour le corps, le lavage suivi d’un lait ou d’une huile corporelle est indispensable pour éviter l’eczéma de déshydratation, les tiraillements et les squames.
Pour les cheveux longs, le coiffage du soir en tresses ou vanilles – 2 mèches enroulées ensemble – hydratées et nourries facilite le coiffage le lendemain matin. Le shampoing hebdomadaire est suivi d’un démêlant et/ou d’un masque nutritif et hydratant. Selon l’état de la chevelure, on privilégiera des cosmétiques protéinés ; mais, en tout état de cause, ils doivent être riches en agents hydratants et appliqués à l’aide d’un peigne à dents larges.
Quel est le top 5 des soins naturels – peaux et cheveux – les plus prisés par les peaux noires et métissées ? Pourquoi ?
- La chantilly de karité pour tout, parce que le karité, c’est la vie, surtout celui du Bénin, bien sûr !
- La crème hydratante pour le corps, les pieds et le visage, car ce sont des peaux constitutionnellement déshydratées en occident.
- Le rouge à lèvres, pour mettre en valeur les bouches naturellement lippues qui n’ont pas besoin de botox pour être pulpeuses.
- Le spray hydratant capillaire, parce qu’il mime l’humidité ambiante des pays tropicaux.
- La poudre matifiante, qui tempère les luisances, mais vraiment sans excès afin de garder le teint naturellement glowy, sans artifice.
Une recette pour la peau à partager avec nos lecteurs ?
Mon baume à tout faire : pour hydrater le corps, les mains et les pieds secs, pour choyer les lèvres, pour masser le dos de son ou sa partenaire, pour cicatriser les petits bobos, pour faciliter les nuits…
Malaxer avec une fourchette sur une assiette et à température ambiante :
- 1 cuillère à café de beurre de karité,
- 1 goutte d’huile essentielle d’ylang-ylang ou de petit grain bigarade.
Transvaser dans un petit pot de 10 ml.
Une recette pour les cheveux à partager avec nos lecteurs ?
Dans un vaporisateur, verser :
- 3 cuillères à café d’huile de ricin, qui active la pousse des cheveux, ou d’huile d’avocat, qui renforce la fibre capillaire,
- 3 cuillères à soupe d’hydrolat de cèdre ou de Bay St Thomas, pour restaurer la bonne acidité et activer la pousse.
Compléter avec 1/4 de litre d’eau de source.
Agiter et vaporiser sur les cheveux le matin pour les coiffer. Hydrater les vanilles ou pour défaire les tresses.
* Greenwashing ou éco-blanchiment, technique marketing consistant à communiquer auprès du public en ayant recours à un argumentaire écologique parfois mensonger.
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