« Si j’étais une femme, sachant ce que je sais de la physiologie féminine, vous me paieriez cher pour me faire avaler la pilule. » Dr Pierre Simon, gynécologue et endocrinologue, co-fondateur du planning familial en France
Journaliste indépendante, animatrice à Radio France, auteur, Sabrina Debusquat est à l’affût des tendances et publie régulièrement des sujets bien avant leur arrivée dans les « grands médias » : les violences gynécologiques, la dioxine dans les tampons, les méfaits du sucre blanc sur la santé, le flux instinctif libre, le financement de la recherche scientifique par l’industrie pharmaceutique, etc. C’est à la pilule qu’elle s’intéresse aujourd’hui dans un ouvrage ô combien passionnant intitulé J’arrête la pilule, aux éditions Les liens qui libèrent. Fruit d’une année d’investigation, cet ouvrage répond à toutes les questions que nous nous posons sur la pilule.
Pourquoi, 60 ans après la création de la pilule, voyons-nous arriver une génération « no pilule » revendiquant une contraception sans souffrance, non polluante et égalitaire ?
Est-ce un retour en arrière ou une forte prise de conscience ?
À mon sens, c’est un progrès, la marque d’un féminisme qui avance, qui affine les droits des femmes, mais aussi d’une génération qui refuse de continuer écologiquement à scier la branche sur laquelle nous sommes assis. En l’occurrence, en matière de contraception, cela se traduit par des revendications du type « une contraception efficace, oui, mais pas au prix de souffrances, de décès de jeunes femmes en parfaite santé, ni de pollution. » La génération « no pilule » refuse de souffrir pour sa contraception et semble aussi, souvent, avoir le désir de faire avec le corps plutôt que contre. Elle pointe du doigt « l’inertie contraceptive » des générations précédentes, le fait d’avoir cru que la pilule était la contraception idéale et donc de n’avoir pas vraiment cherché à en développer d’autres, notamment sans hormones.
Vous racontez, dans votre ouvrage, la genèse de la pilule, dont les motivations premières sont bien éloignées du bien-être de la femme.
Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?
En résumé, les arguments féministes ne faisaient pas mouche et la première pilule a été développée et financée en grande partie grâce à l’aide de riches milliardaires américains eugénistes, qui voyaient en elle l’occasion d’endiguer les masses populaires du tiersmonde – qui nourrissaient le communisme et dont ils avaient peur qu’elles déferlent sur les pays occidentaux pour les « envahir ». Le bienêtre des femmes n’était pas l’objectif premier. L’objectif était l’efficacité et on destinait ces pilules à des femmes des masses populaires que l’on considérait un peu comme « incapables » ; on avait peu d’estime pour elles. D’ailleurs, lors de ces premiers tests, la parole des femmes cobayes qui rapportaient de très nombreux effets secondaires a souvent été étouffée, minimisée, voire niée. Des femmes décédées lors des premiers tests n’ont jamais été autopsiées et cela a fait l’objet de procédures judiciaires malheureusement classées sans suite.
Comment expliquez-vous qu’au sommet du podium mondial des moyens de contraception se trouve la stérilisation ?
C’est parce que de nombreux pays utilisent ce moyen comme contraception depuis longtemps et donc que l’habitude est restée et s’est ancrée. En France, a contrario, nous avons toujours été un pays plutôt « nataliste », qui encourage les naissances, la fertilité et qui possède un taux d’enfants par femme plutôt élevé comparé à ses voisins. Conséquences, patient-e-s comme médecins voient ces méthodes d’un œil plutôt distant et les utilisent peu. Mais les lignes commencent à bouger et de plus en plus de couples font appel à la ligature des trompes ou à la vasectomie.
Vous avancez que, chaque année, 2 529 femmes subissent un problème de santé important à cause de la pilule oestroprogestative.
Sur quelles études repose ce chiffre ?
Ce sont les chiffres officiels de l’enquête de santé lancée par l’ANSM1 pour faire le point suite au scandale de 20122. Le document précise qu’entre 2000 et 2011, en France, 2 529 accidents thromboemboliques veineux sont attribuables chaque année aux différentes générations de pilules contraceptives – dont 1 751 imputables aux pilules de 3e et de 4e générations –, et que 20 femmes en décèdent – dont 14 sous pilules de 3e et de 4e générations. Ces accidents sont, dans 2/3 des cas, des thromboses veineuses profondes des membres inférieurs – phlébites – et, pour le reste de ces femmes, des embolies pulmonaires. Il faut également savoir que ces chiffres sont malheureusement sous-estimés – et on ne sait pas à quel point – car la pharmacovigilance, qui est le fait de signaler les effets secondaires, graves ou bénins d’un médicament, est fastidieuse et très mal effectuée en France. En revanche, cette étude permet de remarquer très clairement que les pilules de 3e et 4e générations causent plus de troubles secondaires graves, ce qui avait poussé l’ANSM à demander aux médecins de favoriser la prescription des pilules de 2e génération.
La pilule est-elle réellement un perturbateur endocrinien ?
Pour quelles raisons serait-elle suspectée d’être cancérigène ?
C’est un fait. La pilule a été créée pour être un perturbateur endocrinien. Elle en est la définition même. C’est son fonctionnement que de perturber le corps – en l’occurrence, bloquer ou endormir l’ovulation via un apport d’hormones synthétiques – dans le but d’éviter les grossesses. Par exemple, le bisphénol A, perturbateur endocrinien que nous avons interdit dans les boîtes de conserve, fait partie de la même famille.
C’est un œstrogène synthétique, qui est pourtant mille fois moins puissant que l’EE2 – ou éthinyl-oestradiol – contenu dans les pilules oestroprogestatives… La pilule oestroprogestative n’est pas « suspectée » d’être cancérigène. Elle a été classée ainsi par le Centre international de Recherche sur le Cancer en 2005 – léger risque de cancer du sein, du col de l’utérus, du foie et des voies biliaires, et réduction des cancers des ovaires et de l’endomètre. Concernant le cancer du sein, on estime qu’1 à 2 femmes sur 10 000 prenant la pilule oestroprogestative vont déclencher un cancer du sein qu’elles n’auraient pas eu sans le traitement. Pour les personnes intéressées, mon enquête reprend de nombreux travaux scientifiques indépendants qui tendent à expliquer le lien entre hormones synthétiques et cancer ; ils sont systématiquement indiqués en références de bas de pages.
Quelles sont les souffrances induites par les hormones de synthèse ?
Les mille et un effets annoncés sur les notices et d’autres, telles la dépression ou la baisse de libido, dont on ne commence à parler qu’après 60 années de commercialisation et qui pourraient être bien plus répandus qu’on ne le croit, alors qu’ils rognent concrètement le bien-être quotidien des femmes. Un sondage réalisé auprès de 3 616 femmes dans le cadre de mon enquête montre que 70 % d’entre elles ont subi des effets secondaires indésirables sous pilule. En premier, elles parlent de la baisse de leur libido devant la prise de poids, les troubles de l’humeur, les migraines et la sécheresse vaginale. Ainsi, même si les pourcentages avancés sur les notices sont faibles, les effets secondaires sont si nombreux qu’une femme qui prend la pilule va souvent être touchée par au moins l’un d’entre eux.
Ce sondage est consultable dans les détails à l’adresse suivante : http://jarretelapilule.fr/ les-faits/sondage-les-femmes-et-la-piluleresultats/. Il est accompagné de nombreux témoignages qui décrivent concrètement signifie subir ce désordre au quotidien (onglet Témoignages du site).
Pourquoi sommes-nous si nombreuses à ressentir une baisse de désir suite à la prise de la pilule, alors que nos médecins disent « c’est dans vos têtes » ?
Je me suis longuement penchée sur la question et j’ai trouvé, à l’aide de la littérature médicale et de spécialistes, au moins 6 mécanismes liés à la libido et sur lesquels la pilule influe négativement.
En résumé, les pilules œstroprogestatives comme progestatives fonctionnent en reproduisant le climat hormonal d’un début de grossesse – avec une progestérone élevée et des œstrogènes plus bas. Or, les œstrogènes aident à la lubrification vaginale et la progestérone aurait tendance à atténuer le désir. Ensuite, les pilules diminuent jusqu’à 50 % la testostérone, qui est l’hormone principale du désir sexuel – chez l’homme et chez la femme –, ce qui pousse certains spécialistes à littéralement la qualifier de « castration chimique ». Certaines études montrent un déclin du nombre d’orgasmes et une dévascularisation du clitoris sous certaines pilules dernière génération. Enfin, fait étonnant, certains contraceptifs hormonaux – pilules et injections – contiennent les mêmes molécules que celles utilisées pour précisément castrer chimiquement les délinquants sexuels en abaissant leur testostérone ; alors que, chez les femmes aussi, c’est pourtant l’hormone principale du désir.
Finalement, quand on se préoccupe du climat hormonal dans lequel la pilule plonge une femme, rien d’étonnant à cela ; mais c’est un fait largement ignoré et qui semble ne pas beaucoup intéresser. Il ressort de mon sondage que c’est pourtant le premier effet secondaire signalé par les femmes interrogées. Leurs témoignages montrent effectivement une forte tendance du corps médical à balayer cette affirmation d’un revers de main en concluant « c’est dans votre tête ». Ce comportement de négation constitue une violence médicale et semble indiquer que de nombreux médecins ignorent ou ne veulent pas voir cet effet indésirable. J’invite donc les patientes à s’écouter et à comprendre qu’elles seules savent profondément ce qu’elles ressentent et n’ont pas à subir ce genre de comportements violents et paternalistes.
Quelle(s) alternative(s) recommanderiez- vous ? Pourquoi ?
N’étant que journaliste, je ne fais aucune recommandation. En revanche, j’informe du fait que des alternatives efficaces et sans hormones existent. En premier lieu, le DIU cuivre – ou dispositif intra-utérin, alias stérilet cuivre –, la méthode la plus efficace si l’on ne veut plus recourir aux hormones et qui peut être posé sur une femme qui n’a pas eu d’enfants, malgré certaines croyances médicales infondées. Ensuite, des femmes de plus en plus nombreuses trouvent satisfaction en couplant méthodes naturelles et préservatif masculin ou diaphragme. Les méthodes naturelles révèlent les périodes où la femme est fertile et où elle ne l’est pas en observant son corps. Cela permet, par exemple, à un couple qui utiliserait le préservatif à chaque rapport de limiter son usage à 10/15 jours par mois, puisque, le reste du temps, la femme est infertile. Certaines méthodes naturelles que je liste dans mon livre présentent une efficacité très élevée si elles sont parfaitement pratiquées. Aussi, il n’existe pas de raison d’en priver les femmes qui souhaitent les mettre en place. Leur fiabilité a été prouvée scientifiquement. Je détaille tout cela dans le livre via une annexe des contraceptions, où tous les contraceptifs actuellement disponibles, avec ou sans hormones, sont classés selon leur indice d’efficacité. Pour celles qui cherchent une contraception garantie sans risques d’effets secondaires, il n’existe malheureusement que cette dernière solution. C’est pour cela que mon livre questionne notre société en invitant à ce que de plus amples recherches soient menées en vue de varier l’offre contraceptive non hormonale, afin d’offrir aux couples de la génération « no pilule » un panel satisfaisant de méthodes contraceptives sans effets secondaires et non polluantes et qui se détachent de plus en plus des contraceptions hormonales et médicalisées.
1- Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé
2- Risque thromboembolique veineux attribuable aux contraceptifs oraux combinés (COC) et évolution de leur utilisation : résultats des études de l’ANSM, Ansm.sante.fr, 26/03/2013
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