Camille Sfez est psychologue clinicienne et travaille avec l’art-thérapie. Elle a créé en 2011 la Tente Rouge de Paris, où sont apparus petit à petit des ateliers, cérémonies et week-ends de ressourcement. Dans son très bel ouvrage La puissance du féminin, elle nous aide à comprendre ce que veut dire être une femme. Son livre est un témoignage à plusieurs voix, une invitation à plonger en soi, à renouer avec son corps, sa sexualité, ses cycles, sa créativité, son intuition, à créer des rituels et, surtout, à le faire avec d’autres femmes. Lui poser quelques questions fut un réel plaisir…
Comment expliquez-vous que nous, les femmes, ayons perdu le lien avec notre nature profonde ?
Hommes et femmes, nous sommes beaucoup à être coupés de la source, de notre nature profonde. Pour les femmes, j’imagine que cette coupure est assez ancienne et a eu lieu au moment où nous avons été enfermées dans les rôles de mère et de fille.
Pourquoi est-ce si important de renouer avec son féminin ?
C’est une porte d’accès vers plus de liberté, afin de sortir des stéréotypes ou des héritages familiaux que l’on reçoit. Renouer avec son féminin, c’est retrouver une confiance en son corps, en ses cycles et les valoriser. Ce processus est essentiel parce qu’il nous invite à ralentir, à nous écouter, à faire ce qui est bon pour nous et, de ce fait, à tout changer autour de nous. Sortir de la performance, de la compétition, de l’action à tout prix.
Vous parlez beaucoup dans votre ouvrage du féminin sacré. Comment le définiriez-vous ?
Pourquoi est-il si important ?
Le féminin sacré, c’est cette période de notre histoire collective où le sacré, Dieu, était féminin. Avant l’écriture et le début de l’Histoire, les hommes et les femmes célébraient une déesse mère, représentation de la fertilité. Les femmes étaient probablement vues comme incarnant ce même principe de fécondité et avaient une place particulière de prêtresses et de guérisseuses. C’est important de s’en rappeler aujourd’hui, de façon à comprendre que nous n’avons pas toujours été aux places de soumises et d’opprimées comme l’Histoire le raconte.
Quelles différences existe-t-il entre le féminin, la féminité et le féminisme ?
La féminité n’est pas le féminin. Le féminin, c’est le principe yin des choses, qui est complémentaire du yang. C’est l’accueil, la contemplation, le vide, le silence. Hommes et femmes portons, comme tout ce qui vit, les deux principes et nous avons tous à rééquilibrer ce yin et yang, en laissant un peu plus de place au yin. C’est aussi la puissance que l’on trouve au creux de la vulnérabilité. L’enjeu du féminisme est là : quitter les guerrières et les amazones en vue de s’ouvrir à une puissance de l’accueil, de l’expression des émotions, du faire avec. La société est prête pour la fin de la guerre des sexes.
Qu’est-ce que la yoni et pourquoi est-il si important d’être à son écoute ?
Auriez-vous un exercice simple à recommander à nos lectrices ?
Yoni est un mot sanskrit pour parler de la vulve et du vagin ; il veut aussi dire source. Le sexe des femmes a souvent appartenu à l’autre, aux hommes, aux gynécologues, à la société. Les femmes autour de moi qui réapprennent que leur sexe est sacré, qui respectent leur désir, se positionnent différemment dans la relation à l’autre. C’est à la fois subtil et essentiel, car le sexe ne ment pas. Pour cela, je crois qu’il faut d’abord être dans un lien d’amour, de gratitude vis-à-vis de cet espace sacré. Commencer par exemple par poser une main sur sa vulve et ne rien attendre, simplement dire merci. Si des émotions viennent, juste les accueillir.
Pourquoi d’après vous, dans notre société, la ménopause n’est-elle pas valorisée à sa juste valeur et apparaît-elle davantage comme un deuil qu’un passage à une ère de la sagesse dont vous parlez ?
Nous avons perdu le sens des rites de passage et avec eux s’éteint l’idée que chaque étape de la vie est à célébrer. Mais c’est aussi parce que nous ne valorisons pas le rôle de visionnaires ou de rêveuses qu’occupent les femmes après la ménopause. Lorsqu’elles ne sont plus fertiles dans leur corps, elles peuvent enfin consacrer toute leur énergie à donner vie à des projets, à du nouveau, pour le bien de tous. Et cela a aussi une valeur, que nous avons à retrouver.
Vous recommandez de célébrer les transformations du corps féminin – fêter les premières règles des jeunes filles, accueillir la ménopause…
C’est une très belle idée, mais comment, concrètement, est-ce possible au quotidien ?
Cela peut être très simple, c’est juste un état d’esprit, une envie de marquer ces étapes et de dire merci pour ce que la vie nous donne. Des femmes organisent une soirée spéciale, avec des amies, une bougie, un rituel qu’elles inventent pour fêter cette étape. Le principal est de créer un temps pour cela, et d’avoir cette intention de célébration. Elles peuvent aussi trouver des femmes qui animent de tels espaces, même s’ils sont encore confidentiels.
Pourquoi, selon vous, est-il si important de combiner féminin et spiritualité au quotidien ?
Nous n’avons jamais autant eu besoin de nous sentir reliées, de savoir quelle est notre mission de vie ou notre place sur Terre. Ces questions spirituelles trouvent leurs réponses dans notre silence intérieur, mais ce n’est pas simple de l’apprivoiser. Le faire avec d’autres, dans un cercle de femmes par exemple, peut être un grand soutien. Et puis c’est aussi en créant des rituels que cela nous aide. Les femmes sont toujours en joie de renouer avec cette créativité-là !
Que sont les cercles des femmes ? Que peuvent-ils nous apporter ?
Ce sont des espaces de parole, d’écoute et de partage qui ont lieu chaque mois. Ils créent un espace bienveillant, où les participantes peuvent déposer ce qu’elles vivent et avoir des témoins. Cela les aide à trouver leurs propres ressources, à oser sortir de leur zone de confort, à créer leur vie comme elles le veulent. Et à se sentir en lien avec d’autres.