On entend de plus en plus parler de l’hypnose, un outil qui se révèle particulièrement efficace dans de nombreux domaines, dont l’accompagnement émotionnel.
Le Dr Michel Ruel pratique l’hypnose en consultation à l’hôpital Max Fourestier de Nanterre, établissement où il a été chef de service de médecine interne jusqu’en 2013. Membre de l’Association Française d’Hypnose (AFHYP) et du Collège International des Thérapies d’Activation de conscience (CITAC), il enseigne l’hypnose aux personnels soignants de divers hôpitaux de France. Il nous éclaire sur ce sujet, avec la collaboration de Chantal Briquet, psychologue, diplômée de l’Université Paris V et d’hypnose clinique médicale, qui a exercé pendant plus de 20 ans auprès des enfants dans une institution publique, et pratique depuis 10 ans en cabinet libéral à Paris. Un duo de choc…
L’hypnose est tendance, mais nous en avons une idée plus ou moins précise. Comment la définiriez-vous ?
Michel Ruel (MR) – L’hypnose est un phénomène naturel, un mode de fonctionnement du cerveau qui survient lorsque nous focalisons notre attention, par exemple quand nous suivons passionnément un film ou un match de foot.
Cette possibilité de l’hypnose spontanée va être utilisée dans un objectif de changement : vous orientez votre corps (votre être) vers un changement que vous avez décidé. En hypnose médicale, on induit un état de veille intense, où l’attention est focalisée, et où le soignant qui accompagne aide à mobiliser les ressources du patient par ses suggestions. C’est un « processus de conscience élargie », où l’on s’ouvre à ses sensations, présentes ou passées, à son histoire, à sa sensibilité.
Que se passe-t-il dans notre cerveau lorsque nous sommes sous hypnose ?
MR – Certaines zones cérébrales sont activées, d’autres inhibées. L’attention et la production d’images mentales – souvenirs ou imagination – sont facilitées. Le cerveau est très actif, mais d’une autre façon que dans la « conscience critique » habituelle : notamment, la connexion des zones cérébrales entre elles est modifiée.
Si l’on se remémore une action que l’on a réalisée dans le passé, les mêmes zones qui ont été activées dans le passé vont s’activer pendant l’hypnose : on va non pas se rappeler, mais revivre l’événement.
Si l’on travaille sur la douleur, on va pouvoir, selon les suggestions du médecin ou de l’infirmière, diminuer l’activité de telle ou telle zone de la douleur.
Comment l’hypnose ou l’auto-hypnose peuvent-elles agir favorablement sur nos émotions ?
MR – Les émotions sont un outil permanent de notre corps. C’est l’émotion qui précède et oriente nos actions. La peur est une émotion indispensable pour rester en vie. Elle permet de s’écarter, de fuir un danger. Sans elle, l’espèce humaine aurait disparu dans la gueule des fauves.
La tristesse nous fait aussi réaliser le bienfait de la joie quand celle-ci revient.
La colère nous permet de refuser l’intolérable et de rompre avec des assujettissements iniques. Croyez-vous qu’on aurait pris la Bastille sans la colère du peuple ?
Vous évoquez la colère collective, mais l’expression de la colère individuelle est très mal reçue…
MR – C’est vrai, et encore plus pour les femmes dont on attend (par exemple au travail) qu’elles soient douces et réservées, et que l’on traite souvent d’« hystériques » si elles se mettent en colère. Il est vrai que l’expression de la colère peut être malvenue, contre-productive ou nous mettre en danger (au volant, gardons notre calme !).
En hypnose, nous disposons de beaucoup d’outils pour progresser vers une plus grande sérénité et mieux traverser notre colère. Revivre des moments où l’on a été fort redonne confiance en soi et la tranquillité à celui qui est réconcilié avec lui-même, conscient de sa propre valeur.
Il y a aussi l’émotion que l’on ressent en séance d’hypnose et que le praticien va vous aider à vivre, à traverser, à utiliser comme une énergie nécessaire à l’accomplissement de votre but. Dans ces moments, beaucoup de choses peuvent se dénouer, évoluer, des blocages vont céder.
On n’apprend pas à « gérer » ses émotions comme on gère un budget… On va les vivre, peut-être les comprendre, mais, surtout, les aborder avec cette sérénité qu’un parcours d’hypnose et d’auto-hypnose peut offrir.
Obtient-on également de bons résultats chez les enfants ?
Chantal Briquet (CB) – Oui. Sans le savoir, les enfants utilisent l’hypnose dans leur quotidien. L’hypnose mobilise l’imagination et la création, et les enfants sont des experts en la matière : lorsqu’ils écoutent les histoires, ils les vivent au point d’imaginer en être le héros, d’éprouver des sensations et des émotions, de partir sur un balai magique dans un pays imaginaire à la poursuite d’un esprit maléfique… L’enfant apprend, à l’aide du psychologue, à utiliser ce processus pour résoudre son problème.
Comme je l’ai constaté dans mes consultations, l’hypnose permet à l’enfant de diminuer son anxiété, d’améliorer ses capacités d’attention et de concentration, d’augmenter ses performances physiques et cognitives et de reprendre confiance en lui. Elle est aussi très efficace pour régler les problèmes de pipi au lit, d’agitation et les débordements émotionnels (colères, peurs…), ou encore les douleurs chroniques, comme par exemple les migraines.
Léa, 10 ans, scolarisée en classe musicale, stresse avant un examen de piano : « Je ne me sens pas bien, je tremble, j’ai les mains moites, j’ai l’impression de ne plus rien savoir », ditelle. Le thérapeute, en suggérant à l’enfant de vivre une expérience de réussite, va lui permettre de mobiliser ses ressources, de modifier les représentations et la perception de la situation qui pose problème. Léa se souvient du moment où elle a réussi son épreuve de 2e étoile de ski… Ensuite, le thérapeute apprend à l’enfant à pratiquer cet exercice tout seul par des techniques rapides d’activation du processus et à revivre un moment de succès.
Quelles sont les conditions de réussite de l’hypnose et de l’auto-hypnose ?
CB – Le point de départ est le désir de changer du patient. Le patient prend ensuite la décision de venir consulter. L’enfant, lui, est d’accord avec ses parents. La confiance établie entre le patient, les parents et le thérapeute est la clé de la réussite.
« Je fais pipi au lit toutes les nuits. J’en ai assez. Je veux arrêter. Je veux partir en colonie » pour un enfant énurétique.
« Cela fait 8 ans que je ne peux pas prendre l’avion, ma mère est malade, je veux absolument aller la voir » pour un adulte phobique de l’avion.
MR – Pour se soigner avec l’hypnose, je conseille fortement de pratiquer avec un professionnel de santé bien formé et l’exerçant uniquement dans le domaine où il est compétent (un dentiste pour les soins dentaires, un psychologue pour les psychothérapies, etc.).
Pour chacune de ces émotions, quels exercices conseillez-vous à nos lecteurs ?
MR – Lors de la première consultation, je dis à mes patients : quand vous serez chez vous, refaites ce que nous allons faire maintenant. Dites dans quel but vous faites l’auto-hypnose (par exemple, bien dormir ce soir, faire cesser ce mal de tête, prendre avec sérénité quelques désagréments qui peuvent vous arriver dans la journée, etc.).
Puis, asseyez-vous, écoutez les bruits qui vous environnent, sentez la position de votre tête, de vos épaules, de vos jambes, votre appui au sol. Admirez votre respiration qui se fait toute seule, votre corps sait parfaitement respirer, votre corps sait ce qu’il vous faut… Laissez émerger une action agréable que vous souhaitez réaliser prochainement, par exemple ce gâteau au chocolat dont vous m’avez parlé, ou cette danse qui anime votre corps au son de la musique qui vous entraîne, ce match de foot avec vos copains, cette marche tranquille au soleil… Quelle que soit l’action agréable que vous vous mettez à vivre, ressentez toutes vos sensations, vos perceptions, ce que vous regardez, ce que vous entendez, l’équilibre de votre corps, le toucher, les senteurs, les sons, les bruits, la musique de ce moment. Et terminez ensuite en prenant, comme le conseille mon maître Jean Becchio, 3 grandes inspirations profondes, avant d’ouvrir les yeux, de vous étirer, ressentir cette chaise où vous êtes assis-e, et reprendre, tonifié-e, dynamisé-e, harmonisé-e, les activités de votre journée.
Dans notre livre, vous pourrez trouver un lien permettant de télécharger des exemples de séance d’hypnose/auto-hypnose : ensuite inventez les vôtres !
En cas d’anxiété, quel exercice d’auto-hypnose recommandez-vous ?
MR – Si l’anxiété est très importante, c’est le psychologue ou le médecin qui vous guidera en hypnose et en auto-hypnose.
Il est utile de savoir réaliser l’exercice du confort de Jean Becchio : quand un inconfort (l’anxiété, une douleur, une émotion désagréable) est là , mettez les mains en l’air à hauteur des épaules, convoquez une image d’une action que vous aimez faire ; dès que l’image est là , installez-vous dans cette action en ressentant toutes vos sensations avec l’émotion agréable, et laissez descendre vos mains jusqu’à ce qu’elles atteignent l’espace confortable de vos jambes.
On peut aussi fermer les yeux et aller dans un lieu de sécurité, réel ou imaginaire, où vous êtes bien, où rien ne peut vous atteindre ; et, là , explorez toutes les sensations de ce lieu.
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