avec Èvelyne Bourdua-Roy
Médecin généraliste et directrice de la clinique Reversa, au Québec
À en juger par les nombreux ouvrages sur le sujet, l’alimentation cétogène est devenue en quelques années une alimentation plébiscitée par de nombreux médecins pour parvenir à la pleine santé. Nous avons donc voulu en savoir davantage sur ce phénomène et si cette alimentation peut être adoptée en période de préménopause ou ménopause. Èvelyne Bourdua-Roy, médecin, nous éclaire.
Médecin généraliste et directrice de la clinique Reversa, au Québec, elle accompagne les malades souffrant de diabète de type 2, de surpoids et d’hypertension. Pour la première fois, elle décrit son protocole thérapeutique, baptisé Reversa, car il permet d’inverser les maladies jusqu’à la suppression totale des médicaments. À la lumière des nombreux patients qui ont suivi son protocole, elle montre ainsi que les pathologies métaboliques ne sont pas incurables.
Pourriez-vous nous présenter
les grands principes de l’alimentation cétogène ?
L’alimentation cétogène fait partie de la famille des alimentations faibles en glucides*, c’est-à-dire qu’elle vise à limiter les apports en glucides quotidiens à environ 20 grammes nets – les glucides nets excluent les fibres contenues dans les aliments – par jour. Elle vise également à favoriser la production de corps cétoniques, à partir des acides gras – ceux que l’on mange et ceux provenant de nos réserves corporelles de graisse –, afin que ceux-ci servent de carburant principal au corps. De plus, cette alimentation encourage la réduction, voire l’élimination des produits transformés et ultra-transformés, ainsi que les sources de lipides produites industriellement et riches en oméga 6 pro-inflammatoires. Il est également suggéré de manger 3 repas ou moins par jour, sans collation.
* Les glucides sont un des 3 macronutriments de l’alimentation, avec les lipides et les protéines. Les glucides, comme par exemple les céréales (incluant le blé), le riz, tous les féculents, les fruits, les légumes, etc., se transforment en molécules de sucre lorsqu’ils sont ingérés.
En quoi l’alimentation cétogène permet-elle
d’améliorer la résistance à l’insuline ?
L’insuline est une hormone produite par le pancréas, principalement quand on ingère des glucides et que ceux-ci se transforment en sucre. Ce sucre entre dans la circulation sanguine et peut servir de carburant à toutes les cellules du corps. Cependant, pour que les cellules puissent avoir accès à ce carburant, il doit également y avoir de l’insuline en circulation. L’insuline agit un peu comme une clé pour déverrouiller les cellules afin qu’elles puissent laisser entrer le sucre – appelé glucose –, afin qu’il y soit transformé en énergie. Sans insuline, le sucre demeure dans le sang.
Plus on mange de glucides et plus la quantité de glucose en circulation dans le sang sera importante. De ce fait, le pancréas doit sécréter davantage d’insuline pour gérer ce sucre. Le corps ne peut ni ne veut avoir un taux élevé de glucose en circulation car cela est toxique et provoque des dommages, entre autres dans les vaisseaux sanguins. Plus le pancréas sécrète de l’insuline et plus on risque d’atteindre un état où de l’insuline est en constante circulation dans le sang, son taux augmentant progressivement avec le temps. Si l’insulinémie est chroniquement élevée, cela s’appelle de l’hyperinsulinémie.
Le problème avec l’hyperinsulinémie, c’est que, avec le temps, elle peut mener à la résistance à l’insuline, qui est non seulement un état inflammatoire, mas également un état pouvant entraîner de multiples problèmes de santé, dont le syndrome métabolique, le diabète de type 2, l’hypertension artérielle, la goutte, la fatigue chronique, la stéatose hépatique, et, bien sûr, l’obésité. Il faut savoir que l’insuline est l’hormone du stockage des graisses. Quand vous sécrétez de l’insuline, vous êtes en mode « fabrication de graisses corporelles » – gain de poids ; alors que, si votre insulinémie est basse, vous êtes en mode « utilisation/brûlage des graisses corporelles » – perte de poids.
Lorsque l’on adopte une alimentation faible en glucides, on mange peu de glucides à chaque repas et on mange peu souvent pendant la journée, ce qui réduit de manière très importante la quantité d’insuline que notre pancréas doit sécréter. On peut alors renverser l’état de constante hyperinsulinémie. Avec le temps, cela permettra de neutraliser la résistance à l’insuline. S’il y a moins d’insuline en circulation en quantité et en fréquence, il y a moins d’inflammation, le taux de sucre dans le sang baisse et le corps a la possibilité de brûler ses graisses stockées. La perte de poids est d’abord et avant tout une question d’hormones et non une question de calories.
L’alimentation cétogène est-elle compatible
avec une alimentation végétarienne ou végétalienne ?
Oui, absolument. L’alimentation cétogène en soi n’est pas forcément à base de viande et de produits issus des animaux. Cependant, les sources de protéines sont plus limitées et plus répétitives car les protéines d’origine végétale contiennent des glucides. C’est donc un défi de consommer assez de protéines tout en limitant suffisamment les glucides pour maintenir la cétose nutritionnelle, qui se situe autour de 20 grammes de glucides nets par jour, mais peut varier selon les individus. Il est important de veiller à ne pas avoir de carences en protéines ni en micronutriments, en prenant des suppléments au besoin. L’alimentation cétogène peut être : sans produits laitiers, sans viande, sans noix, sans oeufs, sans porc, etc., tout comme elle peut être plutôt méditerranéenne, hypotoxique, carnivore, locale, bio, etc.
À partir de combien de temps est-il possible
d’observer des résultats sur le métabolisme ?
Cela dépend grandement du point de départ – c’est-à-dire les problèmes de santé de l’individu –, du respect des principes de l’alimentation cétogène, des autres habitudes de vie et du type de résultat que l’on cherche à mesurer.
Par exemple, une personne qui est diabétique de type 2, qui adopte une alimentation cétogène sans déroger, qui a de bonnes habitudes de vie – bonne gestion du stress, bon sommeil réparateur, exercice modéré régulier, etc. – peut voir ses glycémies se stabiliser et baisser dans les jours qui suivent. Dans mon livre, je raconte l’histoire d’un patient qui a pu cesser ses 216 unités d’insuline en 10 jours ! C’est un cas extrême, mais c’est tout de même un exemple de ce qui est possible. Les glycémies s’améliorent et se stabilisent – moins de montagnes russes – assez rapidement, soit en quelques jours à quelques semaines, et nous devons habituellement commencer à restreindre les doses de médicaments hypoglycémiants dans les premières semaines. Après 6 mois, il est peu fréquent que nos patients diabétiques aient encore des médicaments hypoglycémiants.
Si le résultat escompté est la perte de poids, il faudra s’attendre à ce que le temps nécessaire avant la perte du premier kilo varie énormément d’un individu à l’autre. Certains fondent à vue d’oeil, alors que, pour d’autres, ce sera 1 kg par mois ou moins encore. Nous rappelons régulièrement à nos patients que la perte de poids ne doit pas être le seul marqueur de succès à considérer ! Et nous insistons sur le fait que tous leurs problèmes de santé et leur surpoids ne sont pas apparus du jour au lendemain ; ils doivent se donner du temps pour cheminer dans la direction opposée à celle de la maladie. On ne peut pas défaire en quelques semaines ce qui a été fait en plusieurs années, voire plusieurs décennies. L’alimentation cétogène n’est pas un régime amaigrissant à court terme. C’est une alimentation qui vise à améliorer la santé métabolique du corps et c’est un mode de vie à adopter sur le long terme.
Si votre alimentation habituelle vous a amené-e à être en surpoids, du diabète de type 2 et de l’hypertension artérielle et que l’alimentation cétogène vous aide à retrouver un poids santé, une tension normale et des glycémies normales, que se passera-t-il si vous retournez à votre ancienne alimentation après quelques mois ? Les problèmes de santé vont revenir. L’alimentation cétogène ne vous « guérit » pas de manière permanente et n’efface pas de manière permanente les dommages cumulatifs de toute une vie. L’alimentation cétogène est un traitement chronique aux diverses maladies chroniques liées au mode de vie que vous avez instauré au fil du temps.
C’est un peu comme faire du sport. Vous faites des poids et haltères pour développer votre masse musculaire, pour ralentir le vieillissement et conserver un bon métabolisme de base et une bonne densité osseuse, et vous faites de la course à pied pour votre système cardio-vasculaire. Vous atteignez un niveau qui vous satisfait. Vous avez de beaux muscles, vous êtes en forme. Et voilà, c’est réglé, vous pouvez maintenant arrêter de vous entraîner puisque vos buts sont atteints. Vous devenez sédentaire. Que se passera-t-il selon vous ? C’est la même chose avec l’alimentation cétogène pour la santé métabolique. Vous devez l’adopter comme votre nouvelle alimentation normale si vous voulez en maintenir les bénéfices à long terme.
Personnellement, je mange céto depuis mai 2016 et je dévie rarement. Je ne vois pas pourquoi je retournerais à une alimentation qui avait le potentiel de me rendre malade et qui m’avait donné un surplus de poids, entre autres. Je suis mince, en parfaite santé métabolique, mon foie n’a aucune trace de stéatose, mon bilan sanguin est impeccable, j’ai beaucoup d’énergie et de clarté mentale et j’adore ce que je mange. Mon alimentation cétogène est mon alimentation normale, de tous les jours. Je ne voudrais pas autre chose pour ma santé.
En quoi un suivi clinique est-il bénéfique ?
Le suivi en clinique est nécessaire pour les personnes qui prennent des médicaments ou rencontrant des problèmes de santé qui requièrent une surveillance médicale, comme le diabète de type 1 ou 2, l’hypertension artérielle, la goutte, la stéatose hépatique, des douleurs chroniques, des problèmes de santé mentale, etc. Il faut s’assurer qu’il n’y ait pas de contre-indication, dans un premier temps. Le professionnel de santé qui gère le suivi clinique doit suivre les glycémies et la tension artérielle, entre autres, et ajustez les médicaments en temps opportun, afin d’éviter les effets secondaires et les malaises.
De plus, les patients apprécient généralement les suivis réguliers afin de pouvoir poser leurs questions et de recevoir du soutien et de l’encouragement. Il n’est pas facile de changer une habitude de vie, en particulier l’alimentation, et c’est encore plus difficile quand cette alimentation est à contre-courant de toute la société moderne et de ce que d’autres professionnels de santé pensent.
Nous sommes en train de mettre sur pied un programme en ligne pour les personnes qui habitent en Europe et qui voudraient un suivi médical à la Clinique Reversa, avec la collaboration de leur médecin traitant actuel. Pour plus d’information à ce sujet, veuillez communiquer avec nous par courriel : info@cliniquereversa.com.
L’alimentation cétogène est-elle
recommandée en période de ménopause ?
Oui, absolument ! La période de ménopause est caractérisée par des changements hormonaux importants. Ceux-ci occasionnent, chez bien des femmes, une diminution progressive du métabolisme basal, de la masse maigre et de la densité osseuse, entre autres, en plus d’augmenter le gain de poids en général, mais tronculaire ou viscéral en particulier.
Le gras viscéral augmente la résistance à l’insuline. Les sautes d’humeur et un sommeil de moins bonne qualité peuvent augmenter les rages de sucre et les envies de grignoter, ce qui favorise également le gain de poids. De plus, le risque de développer une maladie cardio-vasculaire commence à augmenter nettement après la ménopause, tout comme le risque de cancers de tous genres. Or, les maladies cardio-vasculaires et plusieurs cancers sont étroitement liés à l’hyperinsulinémie, à l’inflammation et au surpoids. Il est donc particulièrement important d’avoir la meilleure santé métabolique possible en périménopause et après la ménopause.
Cela dit, il est primordial que les femmes qui s’intéressent à l’alimentation cétogène s’assurent de consulter un professionnel compétent en la matière afin de veiller à ne pas accuser de carences en macro- ou micro-nutriments. Les deux erreurs les plus fréquentes que nous observons sont la tendance à être en hypocalorie (dans le but de maigrir plus vite) et l’insuffisance des apports en protéines.
Une alimentation cétogène non équilibrée pourrait aggraver les symptômes de la ménopause, comme n’importe quelle alimentation carencée.
Quels conseils donneriez-vous à nos lectrices
pour passer facilement cette période difficile à traverser ?
Mon meilleur conseil en sera un malheureusement controversé : prenez au minimum deux hormones bio-identiques, l’estradiol et la progestérone micronisée, même si vous n’avez plus d’utérus, après avoir bien lu sur le sujet – je vous suggère personnellement le livre Hormones au féminin du Dr Sylvie Demers, disponible en ligne – et s’il n’existe pas de contre-indication.
On ne retire pas de gloire à subir une ménopause très symptomatique simplement parce que c’est « naturel » et que nos ancêtres sont passées à travers « naturellement », c’est-à-dire sans hormones, exactement comme il n’y a pas de gloire à se faire faire un traitement de canal chez le dentiste sans anesthésie ou « naturellement » simplement parce que nos ancêtres se faisaient arracher des dents à froid. Nous vivons plus longtemps et nous pouvons choisir de vieillir en santé et en vitalité.
Mes autres meilleurs conseils : adoptez une alimentation qui favorise votre santé métabolique en diminuant votre inflammation et votre résistance à l’insuline, augmentez votre masse musculaire, ne fumez pas, ayez un sommeil de qualité et de quantité adéquates et améliorez votre gestion du stress. Je sais que cela demande de l’énergie et du temps. Mais si vous ne prenez pas le temps de vous occuper de votre santé aujourd’hui, vous devrez trouver du temps pour vous occuper de votre maladie plus tard. Dans la vie, tout commence par un choix, et choisir sa santé est le meilleur choix qui soit, selon moi.
Choisissez aujourd’hui de reprendre le contrôle de votre santé métabolique, par exemple en adoptant une alimentation cétogène. Allez-y, mais une amélioration ou une habitude à la fois, progressivement. Vous connaîtrez des succès, sans nul doute, et ceux-ci vous motiveront à poursuivre votre cheminement vers la meilleure version possible de vous-même. Vous méritez la santé et le bien-être !
À lire…