avec Jérémy Anso
docteur ès sciences
En 2004, Thierry Souccar, journaliste scientifique et membre de l’American College of Nutrition, et Isabelle Robard, avocate et docteur en droit spécialisée en droit de la santé, publiaient le livre-choc Santé, mensonges et propagande, révélant les pratiques de l’industrie agroalimentaire, les relais dont elle dispose parmi les experts gouvernementaux et les messages fallacieux qu’elle tente de faire avaler au public.
Quatorze ans plus tard, Jérémy Anso, docteur ès sciences, publie Santé, mensonges et (toujours) propagande (avec préface de Thierry Souccar et Isabelle Robard). C’est l’occasion rêvée pour lui poser quelques questions.
Pourquoi ce deuxième volet ?
Si j’ai pris la plume pour écrire la suite, c’est qu’il y avait urgence à refaire un bilan sur les conseils nutritionnels et toutes ces fausses vérités qui gravitent autour de nous et qu’il fallait dénoncer.
Partagez-vous ce sentiment que les lobbies pharmaceutiques et agroalimentaires ont pour objectif principal de nous maintenir en mauvaise santé le plus longtemps possible ?
Je pense que ces deux industries souhaitent faire un maximum de bénéfices, tout en répondant à des besoins et en respectant le cadre législatif en vigueur – qu’elles influencent en leur faveur. Clairement, l’industrie agroalimentaire ne propose presque rien qui nous permette d’avoir une alimentation équilibrée et l’industrie pharmaceutique assure derrière les besoins en médicaments. Elles se complètent bien. Je dirais qu’aujourd’hui, elles ont malheureusement le champ libre pour faire ce qu’elles veulent, et nous pouvons penser qu’elles nous empoisonnent au quotidien. C’est ce que nous montrent bon nombre d’études scientifiques.
De manière générale, sommes-nous trop dépistés et trop médicalisés ?
Assurément. La vie est devenue entièrement médicalisée ! On se jette dans des procédés médicaux non éprouvés par la science ou qui le sont frauduleusement. On dispense des autorisations de mises sur le marché à tout va, et le principe de précaution, on le jette à la poubelle. Pour le dépistage, oui, c’est accablant, et c’est valable pour de nombreuses pathologies. La remise en question est longue et délicate. Mais ce livre participe à éveiller les esprits.
En quoi l’industrie laitière utilise-t-elle des tactiques similaires à celles de l’industrie du tabac ?
Elles sont identiques puisqu’elle va manipuler les preuves scientifiques. Elle va créer des organismes qui devront travestir ces évidences scientifiques pour discréditer celles qui écorchent leur image et populariser celles qui redorent l’image des produits laitiers. C’est comme ce que faisait l’industrie du tabac en ses heures sombres. L’industrie laitière va aussi influencer les décideurs politiques. Elle va dépenser des sommes d’argent pharaoniques pour éviter qu’une loi contraignante ne voie le jour ou pour que les produits laitiers soient toujours bien considérés par les élus de la République. Elle va aussi créer de nombreux organismes pour tenter d’influencer les scientifiques, en leur donnant des récompenses, des prix, de l’argent, et s’attirer les bonnes grâces de nombreux leaders d’opinion.
Vous dites, dans votre ouvrage, que la moitié des diabétiques pourraient être guéris mais restent malades à cause de conseils nutritionnels erronés. Pourriez-vous nous en dire plus ?
La plus grande société savante, la Fédération Française des Diabétiques – FFD –, donne des conseils nutritionnels vieux de 20, voire 30 ans ! Elle utilise toujours la notion de sucres lents et rapides – obsolète – et refuse de recourir à la notion d’index glycémique ou de charge glycémique. Pourtant, l’Organisation mondiale de la Santé recommande d’utiliser ces notions depuis… 1997 ! Cela ne date pas d’hier quand même. La FFD va même jusqu’à employer des notions aussi farfelues que les équivalences. On va retrouver des aberrations, comme remplacer une pomme par une part de gâteau ! Et, après, on se demande pourquoi rien ne change ! Le gouvernement aussi a une part de responsabilité, avec des conseils obsolètes et une absence de reconnaissance des prises en charge alternatives qui fonctionnent, comme le régime hypocalorique faible en glucides. Mais il leur faudra probablement 20 ans de plus pour reconnaître ces travaux…
En quoi le dépistage systématique du cancer du sein par mammographie pose-t-il souci ?
Principalement à cause de possibles surdiagnostics et surtraitements, qui pourraient atteindre 50 % des cas de cancers détectés selon les études les plus récentes*. On entend par surdiagnostic et surtraitement le fait d’être traitée pour un cancer qui n’aurait jamais fait parler de lui et n’aurait jamais dégradé l’état de santé de la patiente. Ces tumeurslà sont difficiles à identifier et, actuellement, le dépistage du cancer du sein expose à de gros risques, notamment de suicide, de stress, de complications cardiovasculaires à cause de traitements inutiles. Aujourd’hui, l’Institut national du cancer fait de la propagande concernant ce dépistage et n’apporte pas toutes les informations aux femmes pour prendre une décision éclairée. Pire, on se rend compte que le dépistage ne réduit pas la lourdeur des traitements : on effectue toujours autant d’ablations du sein chez les femmes qui réalisent des mammographies. C’est pourtant l’inverse de ce qu’affirme l’Institut national du cancer !
Que pensez-vous de l’abaissement de plus en plus fréquent des seuils, du cholestérol notamment ?
C’est malheureusement classique, et on le retrouve partout ! Hypertension, glycémie, etc. Toutes les sociétés savantes liées à des industriels abaissent régulièrement les seuils qui définissent les personnes malades. La conséquence ? Du jour au lendemain, on constate des millions de malades supplémentaires… qui doivent prendre un traitement. C’est exactement la même chose pour le cholestérol, une molécule accusée à tort et qui est au coeur d’un lobbying intense puisque son seuil va entraîner la prise d’un médicament bien connu : les statines. Problème, elles sont surtout inefficaces et dangereuses.
Quelles sont, selon vous, les principales raisons de l’échec du Programme national nutrition santé – PNNS ?
Les raisons principales sont le manque de volonté politique réelle de changer les choses et d’apporter un cadre législatif vraiment contraignant pour l’industrie agroalimentaire. Le PNNS n’envoie pas les bons messages et se contente de créer des slogans que tout le monde connaît, mais qui ne changent rien. Il y a, à la fois, un manque d’actions réellement efficaces et de cohérence dans les objectifs. On se rend compte que le PNNS ne souhaite stigmatiser personne et ne tient toujours pas compte de la transformation des produits. Pourtant, c’est capital pour prendre les meilleures décisions.
Notre santé étant entre les mains d’enjeux économiques puissants, comment pourrions-nous espérer ne plus être des cobayes ?
C’est sûr que l’on peut se dire que nous devrions mieux connaître notre environnement et les impacts de certains aliments pour faire les meilleurs choix. Mais il faudrait aussi que notre environnement soit mieux contrôlé ! On doit arrêter avec ce lobbyisme et ce marketing agressif, qui nous incitent à nous ruiner la santé. Il faut que les politiciens mettent des limites strictes et claires pour que nous ne soyons plus des cobayes. Limiter les additifs, l’ajout de colorants ou autres techniques industrielles pour nous faire consommer plus. Les prix agressifs doivent aussi être contrôlés. Bref, il y a beaucoup de travail.
Que faudrait-il, selon vous, pour que nous sortions de cette spirale infernale ?
Mettre en place de nombreuses mesures, dont celles mentionnées précédemment. Il faut interdire le lobbyisme auprès des députés et rendre la déclaration des liens d’intérêts obligatoires entre les professionnels de santé et l’industrie agroalimentaire. Il faut contraindre les industriels et ne pas attendre qu’ils s’améliorent d’eux-mêmes. Ils ne le font pas. Il faut aussi interdire toutes les interactions sensibles entre les industriels et les écoliers, les enseignants et les médecins. Ces relations pervertissent la qualité des conseils et n’apportent aucune garantie que nous serons bien encadrés par la suite.
Le mot de la fin ?
Mon ouvrage apporte des éléments tangibles et des faits qui permettent de changer des choses. Aussi bien au niveau du consommateur que du décideur politique. Il y a encore un long chemin à faire, mais ce travail réalisé par les journalistes et les lanceurs d’alerte est fondamental pour faire bouger les lignes.
* 1. Autier, P., Boniol, M., Koechlin, A., Pizot, C., & Boniol, M. (2017). Effectiveness of and overdiagnosis from mammography screening in the Netherlands: population based study. bmj, 359, j5224.
2. Gøtzsche, P. C., & Jørgensen, K. J. (2013). Screening for breast cancer with mammography. The Cochrane Library.
3. Mammographic screening for breast cancer. Overdiagnosis: an insidious adverse effect of screening. Prescrire Int. 2015 Jul;24(162):186-9, 191.
4. Marmot, M. G., Altman, D. G., Cameron, D. A., Dewar, J. A., Thompson, S. G., & Wilcox, M. (2013). The benefits and harms of breast cancer screening: an independent review. Br J Cancer, 108(11), 2205-2240.
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